Publié en mai 2011
Dernière modification en novembre 2013
Qu’est-ce que l’éthique?L’éthique est une réflexion sur les valeurs qui orientent et motivent nos actions. Cette réflexion s’intéresse à nos rapports avec autrui et peut être menée à deux niveaux. Au niveau le plus général, la réflexion éthique porte sur les conceptions du bien, du juste et de l’accomplissement humain. Elle répond alors à des questions comme :
Les valeurs deviennent ainsi des objectifs à atteindre, des idéaux à réaliser. À l’échelle individuelle, nos actions sont autant de moyens d’actualiser nos valeurs. À l’échelle collective, l’imposition de règles est aussi un moyen de réaliser l’idéal partagé; les actions qui vont dans le sens de l’idéal deviennent des devoirs, des obligations. Les règles, cependant, sont générales et ne peuvent couvrir toutes les situations où des choix d’actions sont nécessaires. C’est pourquoi la réflexion éthique porte aussi, au niveau particulier, sur les cas embarrassants et les dilemmes. Elle répond alors à des questions comme :
L’éthique professionnelleEn éthique professionnelle, la réflexion porte sur les valeurs qui motivent les conduites des professionnels et qui sont actualisées dans les codes de déontologie. Les valeurs des ingénieurs définissent un idéal général de pratique. Le bon ingénieur se distingue, entre autres, par sa compétence, son sens des responsabilités, son engagement social. Ce que cela signifie dans la pratique quotidienne, le code de déontologie aide à le comprendre en énonçant les devoirs et obligations découlant de l’idéal du groupe. L’idéal de pratique justifie l’imposition de règles contraignantes et motive à les respecter. La déontologie, comme tous les systèmes de règles, a cependant des limites. La pratique du génie est diverse et complexe. L’évolution économique et technique fait apparaître des problèmes éthiques nouveaux. Les ingénieurs, en outre, travaillent majoritairement dans des organisations qui ont des valeurs différentes des leurs. Au niveau particulier de la pratique professionnelle, la réflexion éthique redevient donc nécessaire pour résoudre les cas complexes et les conflits de valeurs. La réflexion éthiqueLe but de la réflexion éthique est de déterminer non pas les valeurs les plus motivantes, sur le plan subjectif, mais celles qui peuvent justifier rationnellement notre action, celles qui constituent de bonnes raisons d’agir dans un sens ou dans l’autre. Dans le domaine éthique comme dans le domaine technique, les ingénieurs ne sont pas guidés par leurs préférences personnelles. Ils font des choix rationnels et sont capables de les justifier en donnant des raisons telles que l’intérêt du client, la qualité de l’environnement, la sécurité du public. La réflexion éthique permet de déterminer les valeurs qui constituent des raisons d’agir acceptables par l’ensemble de la société, par les personnes qui partagent l’idéal de pratique et, au niveau particulier, par les personnes et les groupes touchés par une décision. Distinction entre éthique et déontologieLe mot déontologie désigne l’ensemble des devoirs et des obligations imposés aux membres d’un ordre ou d’une association professionnelle. Comme les règles de droit, les règles déontologiques s’appliquent de manière identique à tous les membres du groupe, dans toutes les situations de la pratique. Une autorité est chargée de les faire respecter et d’imposer des sanctions en cas de dérogation. Il n’est pas nécessaire, pour se conformer à la déontologie, de réfléchir aux valeurs qui la sous-tendent ni même de partager ces valeurs. L’éthique, au contraire, invite le professionnel à réfléchir sur les valeurs qui motivent son action et à choisir, sur cette base, la conduite la plus appropriée. Cette première différence en entraîne plusieurs autres. La source de la contrainteL’action fondée sur les valeurs est généralement conforme aux lois et à la déontologie, mais elle est décidée par l’individu plutôt qu’imposée par une autorité extérieure. La réflexion éthique fait appel à l’autonomie, au jugement et au sens des responsabilités. Quand un ingénieur décide, sur la seule base de ses valeurs, de refuser une signature de complaisance, rien ne l’y oblige sauf lui-même. La même décision, cependant, peut être dictée par l’article 3.04.01 du Code de déontologie des ingénieurs. Il est fréquent que l’on obéisse aux règles parce qu’elles émanent d’une autorité, parce que l’on craint une sanction ou simplement par habitude. La manière dont l’action appropriée est définieLa déontologie est assez précise quant à ce que le professionnel doit faire ou éviter dans les situations courantes de la pratique. Dès qu’une seule règle claire s’applique à une situation, la conduite à suivre est fixée d’avance. Toutefois, lorsque deux règles ou plus s’appliquent à la même situation, il peut être plus difficile de savoir quelle conduite adopter. L’éthique ne définit pas d’avance la conduite appropriée, mais elle propose une méthode réflexive pour la trouver, notamment dans les conflits de valeurs ou quand une action permise par les règles paraît malgré tout discutable du point de vue de l’idéal de pratique. L’ouverture à d’autres points de vue sur les valeursLa déontologie distingue les obligations du professionnel envers le public, le client et la profession. Elle reconnaît donc qu’il existe plusieurs points de vue sur les valeurs. La clarté exige pourtant que chacune de ces règles privilégie un seul point de vue, l’ensemble des règles demeurant guidé par l’idéal de pratique d’un seul groupe professionnel. La responsabilité par rapport aux conséquencesDu point de vue déontologique, c’est la conformité de l’action à la règle qui est importante. Les conséquences de l’action ne font l’objet d’aucune réflexion ou décision particulière. Du point de vue éthique, au contraire, le professionnel est responsable des conséquences de son action et le demeure même quand il choisit de se conformer à la règle. Il doit chercher à minimiser les effets négatifs de sa décision et être prêt à la justifier, en expliquant ses raisons d’agir, devant toutes les personnes concernées. Ces différences, il est facile de le constater, font de l’éthique et de la déontologie des ressources complémentaires; chacune a des forces qui compensent les limites de l’autre. Prise de décision éthiqueBeaucoup de décisions éthiques sont spontanées. Les dilemmes éthiques exigent toutefois, pour être résolus, une démarche de décision délibérée. Il y a dilemme quand, dans une situation donnée, il faut choisir entre deux actions différentes qui s’excluent mutuellement. Il s’agit d’un dilemme éthique quand, quelle que soit la décision finale, l’action choisie entraîne des conséquences sérieuses, positives ou négatives, pour le décideur et pour autrui.
À la base d’un dilemme éthique, il y a un conflit de valeurs qui ne peut être résolu sans qu’il y ait des gains et des pertes. L’objectif de la délibération éthique est de minimiser les pertes et de parvenir à une décision que les personnes concernées pourraient juger raisonnable. La démarche qui permet d’atteindre cet objectif comporte quatre phases : Inventaire des aspects éthiques et normatifs de la situationCette phase permet de prendre conscience des sources de tension présentes dans la situation. Elle exige qu’on relève d’abord les principaux faits :
On explore ensuite la dimension éthique en déterminant, pour chacune des parties concernées, les conséquences positives et négatives les plus probables de A et B. L’inventaire des aspects normatifs s’étend à toutes les normes applicables dans la situation : lois, règles déontologiques, règles du milieu de travail, morale. Clarification des valeursCette phase permet de déterminer les valeurs qui ont le plus de poids dans la situation et qui, du fait de leur conflit, sont au cœur du dilemme. Dans ce but, on revient sur les conséquences et les normes inventoriées précédemment afin de nommer et de peser les valeurs qui leur sont associées. Les valeurs partagées, celles qui s’expriment dans des idéaux collectifs, jouent ici un rôle important, car ce sont des critères reconnus pour dire qu’une action est meilleure qu’une autre. Prise de décision raisonnableIl s’agit d’abord de choisir la valeur qui aura la priorité et de justifier ce choix malgré les pertes qu’il va entraîner. Pourquoi, dans le cas de Louise, la sécurité du public devrait-elle avoir priorité sur l’efficience? Il faut pouvoir répondre clairement à cette question en donnant des raisons qui ne relèvent ni des émotions ni des préférences personnelles, et que les personnes ou groupes concernés peuvent considérer comme de bonnes raisons. C’est aussi durant cette troisième phase que l’on décide comment minimiser les pertes pour la valeur qui n’a pas reçu la priorité. Louise peut-elle, par exemple, suggérer d’autres manières de réduire les coûts? Les moyens dont elle a besoin pourraient-ils contribuer à l’efficience? Dialogue avec les parties prenantesLa phase de dialogue fournit l’occasion d’expliquer la décision et les raisons qui la justifient. Elle vise le partage de sens et la coopération, plutôt que la persuasion ou le choc des idées. Le dialogue peut constituer la dernière phase de la démarche de délibération, mais il commence souvent plus tôt, soit parce que le décideur sent le besoin de consulter, soit parce que la décision finale revient à un groupe. C’est le propre de l’éthique d’être attentive aux conséquences de l’action pour autrui. La démarche de délibération vise une décision que toutes les personnes intéressées pourraient approuver. Elle n’y parvient pas toujours, mais, à coup sûr, une décision fondée sur les seuls intérêts et valeurs du décideur ne serait pas une décision éthique. Test d'une décision éthiqueAprès avoir appliqué les quatre phases de la démarche de prise de décision éthique, il est intéressant de vérifier la qualité de sa décision à l'aide d'un simple test à trois volets. Éthique et normes socialesComme toute profession québécoise reconnue, l’ingénierie est soumise à un double contrôle :
Comment se situe l’éthique professionnelle par rapport à ces contrôles? L’éthique est un complément nécessaire des normes sociales, tels les lois et les règlements, ces derniers comprenant les codes de déontologie. Les normes peuvent être considérées comme étant des moyens au regard des fins ou des valeurs à poursuivre en société. Or, c’est sur ces fins et ces valeurs que se concentre surtout l’éthique. En effet, l’éthique, lorsqu’elle est centrée sur ces valeurs et ces fins, complète les normes établies de trois façons :
Promotion de l’esprit des normesLa première dimension de l’éthique par rapport aux normes sera donc de promouvoir l’esprit des normes, leur sens ou les valeurs qu’elles visent. Par exemple, tout code de déontologie comprend des règles relatives aux pots-de-vin. Ces règles peuvent être vues comme de pures contraintes extérieures que l’on suit comme à regret et pour ne pas se faire prendre. Mais on peut les vivre tout autrement, par exemple parce qu’on a le souci de l’intégrité ou encore pour protéger l’indépendance de ses décisions. Ce ne sera pas alors la contrainte extérieure qui dominera, mais les valeurs qui sont visées par les normes. Ainsi axé sur les valeurs, un professionnel suivra plus facilement et plus sûrement les normes qui lui sont imposées et il pourra même les dépasser. Dépassement des normesLa deuxième dimension de l’éthique par rapport aux normes pousse le membre à aller au-delà de ce qui est imposé pour mieux assurer les valeurs qui les sous-tendent. À titre d’exemple, prenons l’obligation d’informer le client, prévue dans le Code de déontologie. Les normes reconnaissent le droit du client d’obtenir l’information nécessaire pour lui permettre de bien comprendre les services que lui fournit le membre. Cependant, rien n’oblige le membre à favoriser une véritable communication dans laquelle il pourra mieux déterminer les besoins de son client et, éventuellement, redéfinir son offre de service, peut-être à moindre coût. Pourtant, quand elle est possible, une telle démarche correspond bien à l’éthique qui devrait inspirer tout professionnel, surtout dans un contexte où la qualité du service au client semble bien devenir une exigence de la pratique de la profession. Créativité par rapport aux normesLes normes, même les meilleures, ne couvrent jamais tous les cas où doivent s’exercer les responsabilités professionnelles et sociales. De plus, les normes marquent toujours un retard par rapport à l’évolution des situations. C’est en particulier le cas dans la situation actuelle, caractérisée par de rapides évolutions technologiques et culturelles. À l’égard, par exemple, du développement de l’informatique ou de la biotechnologie, ou encore du développement de l’écologie et de la conscience environnementale, nous faisons face à un vide juridique et normatif. Pouvons-nous, dans pareil contexte, accepter un vide éthique? Ce serait désastreux. C’est sur la conscience humaine que repose alors la responsabilité de jalonner les pratiques et d’esquisser, en définitive, la déontologie et les lois de l’avenir. Il serait irresponsable, dans de telles situations, d’adopter le principe selon lequel « ce qui n’est pas illégal est permis ». Il est plus que jamais difficile de définir ce qui est légal et ce qui est moral ou éthique. Ce n’est pas parce qu’une chose n’est pas encore défendue qu’elle peut être pratiquée, entre autres quand la sécurité, la santé ou même l’avenir de l’humanité sont concernés. La conscience humaine doit ici jouer le rôle de tête chercheuse des nouveaux comportements ou des nouvelles normes à adopter. Elle est un peu comme le radar d’un avion qui, en l’absence de repères visuels, balaie des repères invisibles pour déterminer la route à suivre. Ainsi, dans une période de mutation profonde, la conscience humaine doit remettre en question les valeurs, c’est-à-dire les fins de l’existence humaine (l’amour, la justice, la prospérité et même la survie de l’espèce, etc.), pour réinventer ses voies d’avenir. C’est de cette manière qu’elle pourra mettre au service de la société et de l’humanité les nouveaux savoir-faire et les nouvelles technologies, lesquels ont souvent des répercussions sociales et environnementales importantes. RessourcesLIENS ET RÉFÉRENCES DE L'ORDRE
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