Publié en juin 2022

Dernière modification en décembre 2022

COMPRENDRE LA SINISTRALITÉ

Définitions

Sinistralité

La sinistralité désigne, de façon générale, les montants payés par une compagnie d’assurance pour des sinistres, comparés aux primes encaissées.

SInistre

Le sinistre est un incident ou une circonstance qui entraîne une réclamation.

Réclamation

Une réclamation est une allégation verbale ou écrite reçue par l’ingénieur ou l’ingénieure. Elle résulte d’une erreur, d’une omission ou d’un acte de négligence, réel ou prétendu, dans l’exécution de services professionnels.

Taux de sinistralité

Le taux de sinistralité du programme d’assurance responsabilité professionnelle (ARP) se calcule en appliquant les montants encourus en raison des sinistres (incluant les réserves) (M) sur les primes acquises au cours d’un terme (P).

Taux de sinistralité = M/P

Calcul des primes

Les primes sont établies en fonction des principaux facteurs suivants :

  • le domaine de pratique professionnelle
  • les honoraires
  • l’expérience de sinistre de la personne assurée, c’est-à-dire les réclamations
  • les actes antérieurs
  • le type de projet
  • le territoire
  • la franchise

Chaque facteur a une valeur sur la prime. Les primes sont donc modulées pour chaque membre ou chaque employeur ou société. 

La sinistralité a un effet direct sur le calcul des primes et les couvertures offertes par le programme d’ARP. C’est l’affaire de tous les membres de l’Ordre de se préoccuper des enjeux entourant la sinistralité.

Enjeux autour de la sinistralité

Certaines circonstances contribuent à faire augmenter la sinistralité, notamment lorsque :

  • des activités professionnelles sont effectuées sans contrat en bonne et due forme
  • le contrat est ambigu, incomplet ou qu’il n’est pas adapté au projet
  • la portée du mandat n’est pas circonscrite adéquatement et ne permet pas d'atténuer les risques lors de l’absence de surveillance des travaux ou s'il n'y a qu’une surveillance partielle de ces derniers
  • des changements effectués au mandat en cours de projet sont mal documentés ou mal compris par le client
  • l’ingénieur.e ne communique pas adéquatement avec son client et n’assume pas son rôle-conseil

Il faut également savoir que :

  • certains domaines de génie sont nettement plus à risque que d’autres
  • il existe des méthodes alternatives de résolution des différends, dont l’arbitrage et la médiation

Exemples de réclamations

Les scénarios suivants sont présentés à titre d’exemples de réclamations. Chaque dossier de réclamation est un cas d’espèce et peut différer tant dans son contenu que dans son résultat. Ces exemples ne constituent aucunement une opinion, un avis ou un conseil juridique.

Exemple 1 : La portée du mandat

Les services professionnels d’un ingénieur sont retenus dans le cadre de l’agrandissement d’une charpente d’immeuble. Son mandat comprend notamment la réception des travaux et les attestations de conformité. Un architecte est également impliqué au projet. Le mandat de ce dernier comprend la préparation des plans et devis des arrêts de neige.

Lors du projet, l’architecte sollicite et obtient les conseils de l’ingénieur quant à la conception des arrêts de neige, bien que cela ne fasse pas partie du mandat de l’ingénieur.

Une fois les travaux de charpente terminés, le propriétaire de l’immeuble découvre plusieurs vices de conception. Il remarque notamment que les arrêts de neige sur la toiture sont inefficaces. Ils ne retiennent pas la neige et n’empêchent pas la formation de glaçons. Quelques modifications sont apportées afin d’améliorer l’efficacité des arrêts, mais les problèmes persistent.

Dans cette situation, il s’avère que, même si la conception des arrêts de neige relevait principalement de l’architecte responsable des plans et devis, les conseils que l’ingénieur a donnés à l’architecte quant à cette conception étaient erronés. De fait, l’ingénieur étant responsable des conseils et avis qu’il fournit, l’architecte met en cause la responsabilité de l’ingénieur pour cette erreur de conception.

En conclusion, même si la conception ne fait pas partie de son mandat initial, la responsabilité professionnelle de l’ingénieur.e peut quand même être engagée s’il ou elle donne des avis d’ingénierie quant aux services dépassant la portée de son mandat.

Exemple 2 : Responsabilité conjointe et solidaire des différents acteurs

Les services d’ABC génie-conseil (la « Firme ») sont retenus dans le cadre d’un projet de rénovation et d’agrandissement d’un hôpital. Leur mandat comprend les installations mécaniques, ainsi que la planification, la coordination et la surveillance des travaux. Les tâches relatives à la conception en mécanique du bâtiment sont confiées à XYZ génie-conseil (le « Sous-traitant »), qui, ayant fait la conception pour la section originale du bâtiment, connaissait déjà les plans mécaniques de l’hôpital.

En cours de projet, des erreurs de conception portant notamment sur le type d’unités de traitement de l’air à installer sur la toiture occasionnent des retards et des coûts additionnels de 2 000 000 $. L’hôpital entame des procédures judiciaires contre la Firme ainsi que contre le Sous-traitant.

En effet, considérant leur responsabilité conjointe et solidaire, l’hôpital peut exiger le montant complet des dommages-intérêts de la Firme, même si ceux-ci relèvent d’une erreur du Sous-traitant. La Firme cherche ensuite à recouvrer ces sommes auprès du Sous-traitant. Cependant, la police d’assurance de ce dernier a une limite de couverture de 1 000 000 $, ce qui est nettement insuffisant pour compenser les dommages. De plus, le Sous-traitant n’a pas d’actifs pour payer le solde des dommages-intérêts. Compte tenu la responsabilité solidaire de la Firme, une entente de règlement est négociée qui oblige la Firme à payer les dommages-intérêts résultants à la fois de sa responsabilité et de celle du Sous-traitant.

En conclusion, lorsqu’un mandat prévoit la responsabilité conjointe et solidaire de différents acteurs impliqués sur un projet, il est opportun de déterminer leur solvabilité et d’obtenir une copie de leurs polices d’assurance respectives afin de prévenir le risque associé à un mandat particulier.

Exemple 3 : Importance de consigner par écrit toutes directives aux entrepreneurs

Une municipalité retient les services professionnels d’un ingénieur en structure. Son mandat comprend la gestion de projet, la production des plans et devis ainsi que la gestion de contrat pour le remplacement de toits sur plusieurs immeubles de la municipalité. Un entrepreneur est également impliqué au projet pour assurer l’exécution des travaux de toiture.

Lors d’une rencontre préalable aux travaux, l’ingénieur affirme que, considérant le mauvais état des panneaux de la toiture, il n’approuve pas la méthode d’application par arrosage sporadique. Cependant, il ne le consigne pas par écrit et l’entrepreneur comprend le contraire.

De fait, lors des travaux de toiture, l’entrepreneur applique la méthode d’arrosage sporadique. Du goudron s’infiltre à l’intérieur de l’immeuble et cause des dommages importants au matériel de bureau qui y sont entreposés.

Conséquemment, la municipalité réclame 200 000$ à l’entrepreneur et à l’ingénieur pour les dommages subis. Une enquête démontre que les notes de chantier de l’ingénieur ne comportent aucune directive quant à la méthode d’arrosage sporadique et sa proscription. L’ingénieur est responsable de cette omission.

En conclusion, il est essentiel d’indiquer et de consigner clairement par écrit toute directive donnée à l’entrepreneur. Cela permet d’éviter des dommages importants et peut également servir à titre d’éléments de preuve en cas de litige.

Exemple 4 : Importance de préconiser une surveillance adéquate des travaux

Les services d’une ingénieure sont retenus pour la conception d’un centre commercial ainsi que pour la surveillance des travaux à temps plein. En cours de projet, afin de réduire les coûts, le propriétaire du centre commercial décide que la surveillance de chantier par l’ingénieure se fera désormais à temps partiel.

Sans égard à cette modification, l’entrepreneur ignore qu’il aurait dû appeler l’ingénieure pour surveiller le coulage de la dalle de béton afin qu’elle certifie la conformité aux plans et devis. Compte tenu de son absence, l’ingénieure ne peut certifier la conformité des travaux, la plaçant dans une situation difficile. En effet, il doit être alors décidé si le béton doit être retiré et coulé de nouveau en présence de l’ingénieure. Qui serait alors responsable des coûts supplémentaires, des retards et de la possible perte de profit pour le propriétaire?

Dans cette situation, puisque l’ingénieure était tenue de surveiller et de certifier les travaux, le propriétaire pourrait la tenir responsable.

En conclusion, lorsqu’un client demande à modifier le mandat de l’ingénieur.e, il ou elle doit aviser son client des risques que ces modifications pourraient engendrer, tant du point de vue de la sécurité du public, que des impacts sur l’environnement que du point de vue financier.

 Exemple 5 : Importance de conserver vos documents le plus longtemps possible

Les services professionnels d’un ingénieur en structure sont retenus pour la conception d’un dôme d’une usine de fabrication agricole. Le mandat de l’ingénieur inclut une surveillance des travaux. Ce projet est complété en un an. 

Une dizaine d’années après la fin des travaux, le dôme montre des signes d’affaissement et un an plus tard, il s’effondre partiellement. Cinq ans après, un deuxième effondrement se produit et cause des dommages importants. Le propriétaire de l’usine intente alors une poursuite judiciaire contre l’ingénieur, près de 20 ans après la fin des travaux. Le propriétaire allègue que l’effondrement du dôme résulte d’un défaut de conception et que les règles de l’art n’ont pas été respectées lors de la construction du dôme.

Puisque les premiers signes d’affaissement sont apparus plus de trois ans après la fin des travaux et que 20 ans se sont écoulés depuis la construction, on pourrait penser que le dossier est prescrit. Or, la période de prescription ne débute qu’à partir de la prise de connaissance de tous les éléments essentiels de la poursuite (la faute, le dommage et le lien entre eux). Aussi, ce n’est qu’à la suite du deuxième effondrement et après avoir complété une série d’expertises approfondies que le propriétaire peut établir ces éléments. La poursuite dans ce scénario est donc initiée dans les délais prescrits. 

Au moment du litige, l’ingénieur est à la retraite depuis déjà 4 ans. Après une si longue période, il peut être difficile de se souvenir de certains détails et particularités d’un projet. Heureusement, l’ingénieur a conservé en entreposage tous ses plans et devis, ce qui lui permet de présenter ses moyens de défense.

En conclusion : le Règlement sur les dossiers, les lieux d’exercice et la cessation d’exercice des ingénieurs selon lequel l’ingénieur a l’obligation de conserver chaque dossier pendant au moins 10 ans après la date de sa fermeture, est important. Toutefois, les conserver plus longtemps constitue une bonne pratique. 

Exemple 6 : La responsabilité liée au certificat de conformité

Les services professionnels d’une ingénieure sont retenus dans le cadre de la modernisation d'un complexe multirésidentiel. Elle a notamment le mandat de vérifier la conformité des travaux avec les plans et devis. Au cours de la construction, l'ingénieure effectue des inspections périodiques puis, une fois les travaux terminés, prépare les certificats de conformité.

Alors que les locataires ont emménagé, un incendie a lieu dans le grenier d'une des unités. L’expert indépendant produit un rapport qui démontre l'origine de l'incendie à proximité de la cheminée et l’absence de coupe-feu pourtant prévu dans les plans et devis.

Les plans et devis prévoyaient effectivement une séparation adéquate entre la cheminée et l'isolation ainsi que l'installation d’une barrière coupe-feu. Lors de sa présence au chantier, l'ingénieure n'a inspecté que la construction de deux des quatre unités, sachant que les autres unités devaient être construites à l’identique. Une fois les travaux de construction terminés, l’ingénieure a émis un certificat de conformité pour l’ensemble des travaux, même si elle n’a vu que deux des quatre barrières coupe-feu.

Dans cette situation, la responsabilité de l’ingénieur est engagée. En effet, en préparant un certificat de conformité sans avoir inspecté tous les coupe-feux, un lien de causalité direct demeure entre la faute de l’ingénieure et les dommages causés par celle-ci.

L’ingénieure aurait dû inspecter toutes les barrières coupe-feu pour lesquelles elle devait produire une attestation. Si elle ne pouvait pas le faire, la portée de son attestation de conformité aurait dû être clairement indiquée dans le document.

En conclusion : la présence suffisante de l’ingénieur.e au chantier est essentielle lorsque son mandat prévoit la surveillance des travaux et la production d’attestations de conformité. Aussi, l’ingénieur.e devrait indiquer clairement la portée de ses attestations de conformité.


 

 

 



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Avertissement : Le Guide de pratique professionnelle constitue un outil de référence et d’accompagnement des ingénieurs au Québec. Il est une source d’information générale et ne constitue aucunement une opinion, un avis ou conseil juridique. Son contenu ne doit pas être interprété pour tenter de répondre à une situation juridique particulière.